jeudi 7 mai 2009

Les frontières de l'Europe

Le discours prononcé par le Président de la République à Nîmes ainsi que le titre du dernier article de Sof me donnent l’occasion de traiter un sujet que je comptais tôt ou tard aborder : la question des frontières de l’Union Européenne. Nicolas Sarkozy a en effet abondamment parlé de ce sujet dans son discours sur l’Europe et le titre « Les citoyens d’abord » qui figure dans le Manifesto me fait penser qu’un préalable à l’idée de citoyenneté est celle de frontière.

Rentrons tout de suite dans le vif du sujet en parlant de la question de l’intégration de la Turquie dans l’Union Européenne. Je pourrais aborder ce thème de manière très opportuniste, pour ne pas dire populiste, ce dont certains dirigeants de l’UMP ne se privent pas. Mais je ne le ferai pas pour la simple et bonne raison que j’ai longtemps été favorable à l’adhésion de la Turquie à l’UE et que je n’ai changé d’avis qu’après un long cheminement que je vais essayer de résumer dans les lignes qui suivent.

Pour schématiser, trois attitudes sont possibles vis-à-vis de ce sujet : la première consiste à être eurosceptique voire nationaliste et à ne pas supporter qu’un pays majoritairement musulman et relativement éloigné de la France rejoigne l’UE. La seconde consiste à voir dans l’Europe un facteur de paix, de stabilité et de prospérité et de chercher à l’étendre le plus possible, y compris à la Turquie qui a fait de nombreux efforts ces dernières années : cela a longtemps été ma position personnelle. La troisième suppose de croire que l’Europe est avant tout une construction politique qui a besoin d’être approfondie et qui prend le risque de se diluer en s’élargissant sans cesse : c’est donc par un sentiment pro-européen et non nationaliste que je suis désormais hostile à l’entrée de la Turquie en Europe.

Rentrons dans les détails en examinant les raisons de ce refus. Doit-on refuser l’adhésion de la Turquie à l’UE parce qu’elle est trop éloignée géographiquement ? Non, car Chypre est au moins aussi éloigné et que la connexité de l’UE n’a jamais été posée comme préalable (comme le montre l’exemple de la Grèce). Doit-on s’opposer à l’entrée de la Turquie parce qu’elle est trop peuplée ? Non, car un tel argument aurait pu être opposé à l’entrée de la Grande-Bretagne ou plus récemment de la Pologne dans l’Union. Doit-on s’opposer à l’entrée de la Turquie car elle ne partage pas la même culture que le reste de l’Europe ? Disons que cette raison seule ne saurait suffire à elle seule car l’UE n’a pas vocation à être un club d’Etats chrétien, même s’il s’agit évidemment de la culture dominante de notre continent. Ce qui justifie mon refus, c’est la combinaison de ces trois éléments : la Turquie est un pays éloigné, très peuplé (plus que l’Allemagne) et de culture nettement différente, son entrée serait donc un élément très important de fragilisation de l’UE.

Quittons le cas particulier de la Turquie pour reprendre le problème plus général des frontières de l’Union. Comme je le disais en introduction, cette question est un préalable indispensable à l’idée même de citoyenneté (qu’elle soit européenne ou nationale). On ne peut pas demander aux individus de se fondre dans un ensemble, de « faire corps » s’ils ignorent les contours d’un tel ensemble politique. L’incertitude est un facteur de risque pour le citoyen lambda qui le retient de trop s’engager dans le projet européen. Il faut donc avoir le courage de dire dès maintenant quelles seront les frontières définitives de l’Union, de même que les citoyens Français ont le sentiment que les frontières de leur pays sont définitives. Eluder cette question des frontières, c’est mettre en péril la poursuite de la construction européenne et notamment son approfondissement.

Pour déterminer ces frontières, le plus simple est de regarder une carte de géographie : au Nord, à l’Ouest et au Sud, il n’y a pas de problèmes grâce à la présence de la mer du Nord, de l’Océan Atlantique et de la mer Méditerranée. A l’Est, une première frontière délimite l’Europe centrale de la Russie et de sa sphère d’influence (Belarus, Ukraine,…) et une seconde correspond aux détroits du Bosphore et des Dardanelles de l’autre côté desquels se trouvent la grande majorité de la Turquie. L’UE a en revanche vocation à terminer l’unification du continent en accueillant (s’ils le souhaitent) l’Islande, la Norvège, la Suisse et les Balkans. Cette description sommaire a le mérite d’être simple et relativement incontestable, ce qui est la qualité principale demandée à une frontière.

Mais ces frontières ne doivent pas signifier que l’Europe doive se recroqueviller dans ses murs : comme l’a mentionné le Président de la République, il faut construire de grands partenariats régionaux avec les régions voisines de l’UE. On peut citer deux initiatives en particulier : l’Union pour la Méditerranée (qui comprend la Turquie) et un partenariat avec la Russie, notamment sur la question de l’énergie. L’idée de ces partenariats serait d’exporter ce qui n’est pas strictement politique au sein de l’UE et de promouvoir ainsi la paix, la sécurité et la stabilité de nos voisins. On peut donc imaginer que la zone de libre-échange européenne soit étendue aux zones pré-citées.

Il est donc possible de concilier un approfondissement de l’UE et une exportation de ses bienfaits en affirmant en même temps l’existence de frontières définitives et la mise en place de politiques de voisinages ambitieuses. C’est en tous cas la seule voie raisonnable qui peut être le préalable à la citoyenneté européenne, une notion qui est aujourd’hui selon moi encore un peu trop floue.

5 commentaires:

  1. Merci pour cet article, sur un ton qui est revenu de la polémique à la réflexion. Qu'en est-il de "l'Europe à deux vitesses" évoquée il me semble par M. Giscard d'Estaing ? Que penser d'un processus en deux temps d'expansion-intégration, dans lequel on attendrait que la machine politique fonctionne sans accroc avec les nouveaux arrivés avant de continuer l'expansion ?

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  2. Cette approche me semble nécessaire mais pas suffisante. Pour créer vraiment une Europe politique, la perspective de frontières définitives me semble requise.

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  3. Si je puis me permettre, il y a le risque aussi avec cette procédure à deux étapes de se retrouver dans une version empirée de celle que l'on a connu au dernier élargissement, vers l'est. A savoir, des pays entrants, pas franchement pro européens mais pressés d'avoir accès au marché américain et qui ont l'impression de ne pas être traité comme des membres à part entière. D'un autre côté on avait des membres de longue date, qui ont travaillé dur sur ce projet se voir remis en question et bousculés par ces 'jeunots' qui voulaient tout d'un coup avoir la même part du gâteau sans avoir rien fait.

    De plus il me semble qu'à chaque nouvelle session d'expansion stabilisation on rendrait forcement la suivante plus dure à mon avis.
    Comme le dit l'auteur de l'article, il me semble que des frontières naturelles, tant du point de vue culturel que géographique peuvent être trouvée et mis en place de manière plus ou moins définitive.

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  4. Ton analyse sur l'entrée de la Turquie en Europe me plait beaucoup, et même si je ne maitrise pas toutes les implications économiques que l'une ou l'autre option pourrait avoir, je suis d'accord avec toi.
    Du pur point de vue de la Turquie, Sof a raison de dire que pour eux, ça serait plus cool de faire partie de l'Europe. En même temps, je suppose que ça serait vrai pour beaucoup pays, mais que l'Europe n'a pas la vocation à être une institution mondiale.

    Ceci dit je suis tout de même un peu déçu de ton esquive de l'article précédent de Sof sur le projet social du PSE; il définit des standarts de qualité de vie Européen, et même si je me demande si le PS fait bien la différence entre egualité et équité, l'UMP a t il pour projet aussi d'harmoniser les niveaux de vie? Ou la solution est-ell de laisser chaque pays gérer ces questions indépendamment, au risque d'empécher une résolution des clivages régionaux comme ceux qu'a pu subir le Nord de la France lorsqu'il a dû subir le contrecoup de la révolution industrielle?
    Un juste milieu entre la politique nationaliste sur le sujet de l'UMP, et celle trop contraignante du PSE, peut-il être trouvé?

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  5. Sur la politique sociale, je pense qu'elle doit avant tout relever del'echelon nationl. Cela ne signiie pas que je renonce a l'idee d'une convegence des modeles europeens, je note simplement que cette convergence a eu lieu pour l'Espagne sans que des regles europeennes contraignantes ne s'appliquent. C'est la construction du marche interieur qui est l'element le plus efficace pour harmoniser les niveuax de vie en Europe.

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